Getlostinasia aime les « junkies » d’Asie, ceux qui quittent tout pour se perdre avec le sourire dans sa jungle culturelle hétéroclite. Philippe, du photo-blog monasie.com, est de cette race qui laisse sa trace sans tambour ni clairon. Ses armes de destruction massive : une caméra, beaucoup de passion, de compassion et d’humilité. Des qualités parfaites pour se fondre dans la foule de la surprenante mégapole et capitale de la Thaïlande nommée Bangkok.
Photographe dans les rues de Bangkok
En 2005, Philippe en à ras le bol de sa vie en Europe. Il quitte pour l’Asie vivre la grande aventure. En 2006, il commence le blog monasie.com, passionné de photographie et d’Asie. Le blog, par le biais des clichés de Philippe, capture l’essence de la vie quotidienne des habitants ordinaires de Bangkok. Aucun artifice, que du vrai pris sur le vif, comme ça, dans leur intimité, par Philippe.
Voici donc l’entrevue que j’ai réalisée par courriel.
Philippe est un grand timide, il aime mieux rester derrière la caméra.
Vous pouvez aussi l’écouter dans sa version podcast ici : podcast#3 photo de rue a Bangkok
– Présente-toi un peu à nos auditeurs.
Bonjour, je m’appelle Philippe, je suis français et je vis en Thaïlande depuis presque 9 ans.
– Qu’est-ce qui t’a amené ici en Thaïlande ?
J’ai toujours aimé l’Asie. J’y suis venu pour la première fois en 1986, pour une mission pour un de mes clients. C’était en Indonésie, et je m’étais dit à l’époque que j’aimerais bien venir vivre par ici.
Pourquoi la Thaïlande ? C’était ta première vraie sortie d’Europe, comment furent tes débuts en orient ?
Oui, c’était ma première vraie sortie d’Europe. J’avais une copine thaïlandaise en France qui m’avait fait connaître son pays au tout début des années 2000. Finalement, je ne suis jamais rentré.
As-tu encore des affaires en France ? Retournes-tu souvent ?
Oui, j’ai encore des affaires en France que je pilote depuis la Thaïlande. J’y retourne donc de temps en temps quand c’est nécessaire.
Après 9 ans à Bangkok, découvres-tu encore de nouvelles choses ?
Oui. Quand j’ai travaillé sur mon livre, j’ai du allé dans des lieux que je ne connaissais pas trop, ou plutôt qui ne m’intéressaient pas. Finalement, on finit toujours par découvrir de nouveaux quartiers et de nouvelles tranches de vie. Par exemple, je connaissais mal la communauté indienne de Bangkok et j’y ai découvert des personnages super sympathiques.
Bkk est-il représentatif de l’ensemble de la Thaïlande, ou c’est une autre chose, une bébitte plus internationale ?
Oui, c’est très représentatif de la Thaïlande, mais il ne faut bien sûr pas s’arrêter aux lieux touristiques. Il y a en fait très peu de « vrais bangkokiens », la majorité des habitants de la ville viennent des campagnes. Il n’y a qu’à voir comment la ville se vide lors du nouvel an thaï, quand tous les migrants retournent visiter leurs familles du nord, du sud et du reste du pays.
Qu’est-ce qui te surprend toujours aujourd’hui ? Est-ce que la Thaïlande change plus vite depuis les 20 dernières années que le reste de son histoire ?
Je ne connaissais pas la Thaïlande il y a 20 ans. Cela dit, le pays évolue très vite. C’est très impressionnant de voir le développement des infrastructures routières, les constructions d’immeubles neufs et l’émergence d’une classe moyenne. Malheureusement, les choses restent très difficiles pour certaines classes sociales. J’ai pris la photo ci-dessous au même endroit à 7 ans d’intervalle.
La campagne ne t’a jamais attiré ? C’est plus tranquille que la ville…
La campagne ne m’attire pas du tout. J’aime bien y passer une semaine de temps en temps en famille, mais décider d’y vivre est une tout autre affaire. Je connais quelques Français qui vivent à la campagne. Ils ont l’air heureux dans leurs villages, c’est un choix de vie qui n’est pas le mien.
Tu sembles faire ta petite affaire. Tu n’aimes pas être entouré d’étrangers, tu n’aimes pas les visiteurs et les expat’ de Thaïlande ?
Non, pas du tout, j’ai quelques très bons amis français, anglais, américains, qui vivent en Thaïlande et principalement sur Bangkok. Quand je peux rendre service à des touristes, je le fais volontiers et avec grand plaisir.
Maintenant, c’est sûr que je ne me reconnais pas du tout dans ces clubs et associations d’expat’ francophones qu’on retrouve un peu partout dans toutes les grandes villes de Thaïlande. J’ai quitté la France pour vivre une autre vie, pas pour m’enfermer dans un village gaulois.
Après 9 ans, tu dois parler thaï un peu, mais malgré tout ça tu dois rester étranger… Est-ce qu’on comprend mieux la culture avec un peu de langue ?
Oui, je suis un Français en Thaïlande et je le revendique. J’aime mon pays avant tout même si je n’y vis plus. Je n’ai pas du tout envie d’être thaï, même si je pense être plutôt bien intégré dans ma vie courante. Ça me fait toujours marrer quand je vois des étrangers vouloir être plus thaï que les thaïs. Il ne faut jamais renier ses racines sans compter en plus qu’ils passent pour des idiots.
Non, je parle très mal le thaï, j’arrive à comprendre et me faire comprendre pour les choses essentielles du quotidien, mais je suis incapable de soutenir une conversation avec un adulte en thaï. Mes amis vivant à la campagne eux n’ont pas ce problème, parler thaï est une question de survie.
Maintenant c’est toujours mieux de parler la langue, c’est évident. Mais sur Bangkok, on se débrouille assez bien avec l’anglais.
Qu’est ce qu’on découvre de plus que les voyageurs en restant longtemps, en apprenant leur langue maternelle et leur quotidien ?
Quand tu débarques pour la première fois en vacances en Thaïlande, tout le monde est beau, tout le monde est gentil. C’est comme un pays de rêve pour un occidental. Une fois que tu y vis, c’est très différent. Tu te retrouves confronté aux réalités du quotidien. Au final, si je fais la balance, je vis beaucoup mieux en Thaïlande qu’en France.
Les Thaïlandais sont très nationalistes et n’aiment pas perdre la face, même parfois ils mentent pour ne pas faire face à la musique. Dans le reste de l’Asie, certains disent « don’t thai to me ». Toi, tu en penses quoi ?
Oui, le mensonge peut faire un peu partie du quotidien chez certaines personnes. Pas forcément pour cacher quelque chose, mais souvent simplement pour embellir leur vie quotidienne ou ne pas perdre la face. Je me souviens par exemple d’une soirée chez des amis où la femme d’un copain est venue seule. Je lui demande où est son mari et elle me répond qu’il est à Hong Kong pour son business et qu’il rentre demain. 30 minutes après son mari débarque. Ils s’étaient juste pris la tête peu de temps avant la soirée et elle ne voulait pas perdre la face en arrivant seule.
Comment va le peuple thaï ? On sait qu’il sourit toujours, mais seul chez lui en 2013, avec tous ces mouvements politiques, est-il toujours souriant ?
Le quotidien à Bangkok est toujours le même. Il y a des grosses manifestations en ce moment à Bangkok, mais elles sont très localisées. Les gens parlent un peu de politique entre eux, mais j’ai pris le parti de me désintéresser complètement du sujet, de ne pas en parler avec mes amis thaï et surtout de ne pas prendre parti. Certaines décisions du gouvernement actuel sont incompréhensibles pour moi et les solutions apportées par les opposants le sont tout autant.
D’après toi, la monarchie thaïlandaise survivra-t-elle sans son roi actuel ?
Le souverain actuel est vénéré et aimé de tous les Thaïlandais. C’est très difficile à comprendre pour un occidental, absolument tout le pays est avec lui, je n’ai aucun doute là-dessus. Pour la suite, qui vivra verra, ce pays n’a pas fini de nous étonner, je crois.
Quel est ton meilleur souvenir et quel est ton plus mauvais souvenir de ta vie en Thaïlande ?
Les meilleurs moments, forcément la naissance de mes 2 enfants. Les pires moments, je dirai en 2010 lors des grandes manifestations des chemises rouges où à un moment, j’ai bien cru que le pays allait basculer dans la guerre civile. Ensuite, lors des inondations de 2011 quand nous avons dû quitter Bangkok pendant 5 semaines avec mon dernier fils qui venait juste de naître, il avait 1 mois.
Tu n’as pas eu le goût de vivre la vraie vie d’Indochine, au Laos ou au Vietnam ?
Oui, c’était un rêve pour moi d’aller dans l’ancienne Indochine. J’ai été très déçu finalement. Il reste très peu de vestiges de cette époque. Le Laos et le Cambodge ont été détruits par des années de guerre et de dictature communiste. J’étais à Phnom Penh en 2005 et je n’ai pas trop aimé. Impossible de sortir seul le soir par exemple. J’avais un chauffeur qui me suivait en permanence pour ma sécurité. Une chose inimaginable à Bangkok par exemple. Il y avait aussi énormément de pauvreté. J’ai traversé le Laos en 2007, c’était une belle expérience.
Parle-nous de ton photo-blog et de ton livre. Que tentes-tu d’apporter dans tes clichés ?
Sur mon blog (http://monasie.com), j’essaie de montrer un peu la Thaïlande au quotidien, des gens normaux dans leur vie de tous les jours avec des situations quelques fois insolites. C’est vraiment de la photographie de rue. Ensuite, je photographie aussi beaucoup de paysages et de temples.
Le livre « Images of Bangkok » m’a été commandé par un éditeur de Singapore (Marshall Cavendish), ils avaient déjà sorti « Images of Singapore », « Images of Kuala Lumpur » et ils cherchaient un photographe pour faire un livre dans le même format sur Bangkok. C’est un livre ou j’essaie de résumer en 240 images la ville de Bangkok et les Thaïlandais. Une bonne idée de cadeau pour Noël.
Tu fais beaucoup de portrait de gens dans leur intimité, comment fais-tu pour ne pas les faire fuir.
|
Quel est ton endroit et matériel préférer pour pratiquer ton art ?
Les marchés populaires, sans hésitations ! C’est la base de la vie de tous les jours. J’utilise un reflex numérique Nikon, un D800e, avec toute une gamme d’objectifs de qualité.
As-tu un conseil pour les amateurs de photo qui visitent la Thaïlande ?
Si l’on fait de la photographie de rue, rester toujours souriant, ne pas chercher à voler une photo, toujours respecter les gens. Il faut absolument éviter de photographier des gens lors d’activité illégale (jeux d’argent, prostitution), ça pourrait mal finir.
Si vous avez décidé de photographier des temples, prévoir des chaussures sans lacets qui se retirent facilement et rapidement, car il faudra se déchausser à chaque fois et quand il fait 35° à l’ombre, c’est très pénible.
Comment se dessine l’avenir ? Tu as un fils, il est thaïlandais.
J’ai 2 enfants et ils ont la double nationalité, française et thaïlandaise. Ils sont scolarisés dans une école privée thaï, avec un programme mixte 50 % en thaïlandais et 50 % en anglais.
Merci Philippe pour cet entretien fort sympa ! On invite tous nos lecteurs à visiter le site monasie.com pour voyager dans le quotidien des gens ordinaires en photo dans les rues Bangkok.
Super l’entrevue! Un must photoblog pour les amoureux de Bangkok et la photo bien sûr!
Bravo!