Qui est-ce que je dois fourrer pour un bon latte à Tokyo ?

Debout devant le comptoir de l’un des innombrables coffee shops qui foisonnent dans le paysage urbain de Tokyo, je regardais, non sans appréhension, la préposée placer la tasse sous une machine avec beaucoup trop de pitons lumineux. Après qu’elle eut appuyé sur Start, une mixture brune aux filets sporadiques d’un blanc mousseux s’échappa du tuyau. Pendant les secondes qui suivirent, je pus ouïr moult bruits dégueu, et voir le mélange baver tranquillement dans la tasse. Croyant avoir enfin trouvé un endroit pour un bon latte, j’obtins plutôt une mixture brune à 550 yens la tasse (pas loin de 6 $).

Mais qui est-ce que je dois fourrer pour un bon latte à Tokyo ? songeais-je.

L’industrie du coffee shop au Japon est sans aucun doute au top en termes d’efficacité et de qualité du service. Dans les grands centres urbains, notamment à Tokyo, on peut compter un café tous les dix mètres. Ce qui est chiant, c’est que pour les junkies d’expresso comme moi, nous sommes loin d’y trouver notre fix. Dénicher un endroit qui offre un latte ou un cappuccino au moins décent tient presque du miracle. Même dans mon patelin dans le fin fond de l’Est canadien, je peux trouver un endroit qui sert un latte à se fendre le crâne sur le mur. Pour une société avec un fétichisme pour tout ce qui est exotique – en particulier pour n’importe quoi un minimum comestible qui vienne d’Europe – c’est une putain de honte.

Je me sens quasiment comme le crazy espresso guy dans le film Mulholland Drive. Je vous rassure, je n’ai encore rien recraché… à cette date. Cependant, en tant que gaijin puriste de l’expresso, il fallait que je me mette sur le dossier et que je fasse une enquête.

D’un, il fallait que je trouve les meilleurs et authentiques cafés européens à Tokyo, selon un barème aussi strict que précis. Entre autres points : pas de maudits cafés thématiques kétaines ou d’endroits bizarres. Simplement un vrai café qui sert de vrais expressos. De deux, je voulais avoir une vue d’ensemble sur cette industrie au Japon. Quoique la situation se soit améliorée ces cinq dernières années, c’est encore bien loin d’être parfait. Il semble que la culture de l’expresso au Japon, ça reste plutôt frelaté.

Pour le public japonais en général, café rime avec p’tits gâteaux et beignets. Ils voient les cafés comme des endroits pour s’assoir (ou dormir) un moment. La qualité importe plus ou moins. Cependant, il y a un espoir à l’horizon.

Jetons d’abord un coup d’œil à l’industrie du café au Japon. Ici, ce sont les grosses chaînes qui mènent la danse. C’est à coups de lattes dans les burnes qu’une pléthore de franchisés se battent pour la moindre part de marché. Quelques gros joueurs ont pignon sur presque toutes les rues : Doutor, Excelsior, Vellocce et évidemment le gerbant… pardon, géant américain Starbucks. Du côté café-pâtisserie – un segment très populaire – il y a Vie de France, San Marc’s, St-Germain, et tout le paquet de petits shops indépendants. On peut voir également une nouvelle tendance émerger avec Komeda Coffee. Ces derniers offrent un service de déjeuner, un peu dans le style des restaurants Cora au Canada, avec all you can drink coffee inclus dans le prix.

Pour commencer ma recherche, je me suis pointé chez FUGLEN, un café chic au style norvégien situé dans le quartier huppé de Yoyogi-Kôen. Tout de suite, j’ai su que j’étais tombé sur une véritable perle dans ce tas de mauvaises cabanes à eau brune. En fait, je dois vous avouer qu’à la base, Fuglen n’est pas un café, mais bien une boutique d’intérieur où tout ce que vous voyez, vous pouvez l’acheter. Il se trouve qu’il y a un café et un bar. Pensez IKEA en 10 000 fois moins monstrueux.

 

Café Fuglen à Yoyogi-Kôen, Tokyo.

Café Fuglen à Yoyogi-Kôen, Tokyo.

 

J’ai piqué une jasette avec Kenji-san, le daylife manager. Kenji, en plus d’être l’un des Japonais les plus cool que j’aie rencontré, il connaît ça le café. Tellement que je me suis payé un cours de barista avec lui. C’était en japonais, alors je n’ai compris que la moitié des instructions, mais je fus tout de même flabbergasté par son expertise. Je peux maintenant steamer le lait et quasiment faire un latte art qui ressemble à kek’chose, pas loin d’un rond blanc.

Bref, il semble que le problème soit d’abord un manque d’exposition.

Le Japon reste un archipel isolé. La culture n’y a pas eu la même chance qu’en Europe, où une multitude de pays collés les uns aux autres s’influencent et bénéficient d’un échange commun. Et le Japon reste une société plutôt homogène, alors qu’en Amérique, des masses d’immigrants européens sont venus s’y établir, apportant tout leur « patrimoine » caféiné.

Résultat, la coffee culture au Japon brille par sa presque totale absence. Heureusement, de plus en plus de Japonais passionnés de café voyagent en Europe ou en Amérique et reviennent avec un bon bagage de connaissances. C’est le cas de Hiroshi Sawada, fondateur de Streamer Coffee. Hiroshi a vécu quelques temps à Seattle (véritable manne des coffee shops aux É.-U.) et a été le premier asiatique à remporter le Latte Art Championship en 2008.

Les Japonais sont déjà de véritables experts en vin, peut-être développeront-ils aussi une expertise pour l’expresso.

Cependant, contrairement au vin, la dégustation et l’expertise du café est une tendance plutôt récente. La culture ne dispose pas du même following. Pareil pour les métiers liés. Le vin s’est établi depuis longtemps. Quant au café, l’expertise et la reconnaissance commencent seulement à s’établir, particulièrement en Amérique et en Australie, d’où le terme pro barista tient son origine.

Même problème pour les baristas. Au Japon, tout cet univers est méconnu, underground, et même perçu comme un truc de « fifilles ». Seule une formation de kafe ônaa (‘cafe owner’) s’en approche, et ça vise principalement les jeunes femmes. Les élèves y apprennent le service du café et à préparer des pâtisseries simples et kawaii – ‘cutes’ – mais rien à propos de toute la culture du café. Et pour le prix, c’est une vraie arnaque. Alors qu’on peut facilement trouver des baristas workshops de 3 à 5 jours allant de 150 $ à 1 200 $ un peu partout dans le monde, une formation ‘cafe owner’ au Japon coûte plus de 7 000 $ et dure entre 6 mois et un an.

Il existe une association, la Japan Barista Association, mais ce n’est qu’un prétexte à faire la passe de cash. Créée en 2009, les fondateurs ont vu le filon. Afin d’être certifiée barista, la personne doit absolument compléter la formation dans une école reconnue par l’association.

Selon Kenji, ce n’est pas le barista qui fait que le café est bon ou mauvais, c’est tout le processus avant que le café soit moulu. Car le barista ne fait que moudre les grains, shooter l’eau chaude, et verser le lait (pour certains types d’expresso). Tout dépend du producteur – la culture – et de la qualité de la torréfaction. Une fois que le café est mis dans le sac, on ne peut pas changer la qualité. Le job d’un barista, c’est de connaître le café, trouver des producteurs de qualité, et des expert en torréfaction.

Une autre raison de la rareté des endroits qui servent de bons expressos : tout l’équipement nécessaire pour torréfier les grains de café. C’est déjà dispendieux à la base. Au Japon, vu que tout est ultra dispendieux, même les compagnies étrangères sont réticentes à investir. Non seulement dans l’équipement, mais aussi dans le personnel et dans le vrac de qualité supérieure.

Pas surprenant que pour trouver les meilleurs cafés, il faille chercher où se tiennent les gaijin. Ça veux dire endroits touristiques, ça veut dire centre-ville, ça veut dire rare, ça veut dire cher. Et encore, la plupart n’offrent pas un expresso digne de ce nom.

Il ne faut cependant pas se décourager. Il existe à Tokyo de très sympathiques endroits où ils savent ce qu’ils font. En faisant mes recherches, j’ai réalisé que quelqu’un avait déjà fait un guide sur les meilleurs cafés à Tokyo selon les mêmes paramètres. Alors j’me casserai pas les couilles à en refaire un autre.

Carl T. Slater

Carl est un gaijin banlieusard paumé vivant à Funabashi, pas trop loin de Tokyo. Il n'a d'autre chose à offrir que des observations biaisées sur les trois dragons d'Asie, tout en essayant de ne pas trop faire honte à sa femme.

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